the fault is not in our stars, but in ourselves
Dans l'obscurité, comme dans la lumière, cette pièce n'offrait rien à observer vraiment. On avait vite fait le tour des lieux d'un simple coup d'oeil. Outre les poutres apparentes qui donnaient un certain charme, le parquet grinçant datant du siècle dernier, le plafond bas et le lit en fer blanc, il n'y a rien. Pas de tableaux, pas de photos, pas de rideaux. La pièce transpire de simplicité, et si de ce fait, elle aurait pu avoir l'air terne, elle n'en faisait rien, pourtant. Il y avait dans les murs blancs de bois une lumière qui s'en dégageait, et dans la pauvreté du lieu, une beauté singulière, comme celui qui y séjournait. Dans les rainures du parquet, il y avait les grains de sable clandestins venant de la plage pas loin, un peu de terre du jardin aussi. Pas vraiment de jouets, pour tout dire, mais des bouquins qui rien qu'à leurs aspects, paraissaient trop lourds pour celui qui les lisait.
« Alastor ? Tu dors, chéri ? » Sa voix est tellement douce, qu'elle ne semble même pas briser le silence qui règne ici. Qui règnait constamment, en fait. Il répond par un grognement pacifiste, de ceux qui ne veulent pas dire 'va-t'en', mais 'reste donc', de ceux qui veulent juste faire comprendre à l'autre 'je veux bien que tu sois là, reste là, tu ne déranges pas'. Alors elle s'approche, laisse la porte ouverte, et le matelas s'enfonce alors qu'elle s’assoit, froissant un peu plus les draps. Son odeur de rose s'infiltre dans ses narines, et sa main douce caresse ses cheveux blonds. D'ordinaire, Alastor déteste ça. Il fait déjà trop chaud, surtout cet été, et les contacts lui donnent l'impression de suffoquer. Mais les siens à elle, à elle seule, l'aident à mieux respirer.
« Mon petit lion. » Alastor roule des yeux, et elle ricane comme si elle l'avait vu le faire. Elle appuie sa tête contre la sienne, et ses cheveux blonds à elle se mêlent aux siens à lui, c'est presque les mêmes. Ils sont encore frais, un peu humides, comme si elle venait de sortir de la douche et que le soleil brûlant d'août les avait presque séchées.
« Petit lion en cage ! Tu tournes en rond, pas vrai ? » Il hoche la tête, souffle un coup, ennuyé. Alastor s'ennuie l'été. Il n'y a rien à faire. Il a déjà fait ses devoirs, commencé à empaqueter sa valise même. La plage est pleine de vacanciers embêtants ; il n'y a rien de mieux que la plage en hiver, parce que personne n'est là pour marcher sur son sable à lui. Et elle, elle le comprend mieux que personne, parce que c'est pareil pour elle. Alors ils restent tous les deux dans la maisonnée, à attendre que l'autre revienne. Soudain, elle se lève, et sa main lui pince doucement l'épaule avant de repartir, lui promettant de revenir avec du pain et de la confiture pour se remplir l'estomac.
Aujourd'hui, il aura beau attendre, attendre, et attendre, il ne reviendra pas. Elle non plus, d'ailleurs. Le pain et la confiture resteront au placard, et la porte d'entrée ne s'ouvrira plus de la main potelée de son propre père. Et il le sait ; c'est terriblement puéril de souhaiter qu'ils le fassent, surtout à son âge. Que l'odeur de rose flotte de nouveau dans l'air, et que le fauteuil favori de son paternel se creuse de nouveau sous le poids de son digne propriétaire. Que, de nouveau, ils s'installent dehors, à regarder les étoiles pendant que sa mère ferait jaillir des étincelles de sa baguette, tout en lui expliquant les théories des potions les plus complexes, celles que sont propre père à elle lui avait apprise. Maintenant, la maison paraît triste. Elle avait toujours paru triste, il pense, aux yeux de tous. Pas luxueuse mais pas miteuse, elle n'avait aucun attrait, aucun charme, aucune allure. Mais à ses yeux clairs à lui, Alastor l'avait toujours trouvé accueillante. Désormais, elle ne lui offrait plus la chaleur spéciale d'autrefois. Elle ne l'offrirait plus jamais, depuis qu'ils étaient décédés.
Assassinés. Alastor n'est pas un nostalgique, il ne l'a jamais été. Les choses viennent et s'en vont, c'est dans l'ordre des choses. Rien ne dure, ou jamais comme on le souhaiterait. Le sable dans le parquet s'est envolé, la caresse de sa main sur sa joue emportée. Mais c'est comme si une tornade s'était abattue sur la maison. Tout est parti trop vite.
Il en rêve souvent, si ce n'est toutes les nuits. De cette soirée où le ciel revêtait les couleurs du crépuscule. Il peut imaginer la porte qui s'écrase à terre pour toujours, et la poussière qui s'élève dans les airs, dansante au ralenti, donnant à l'entrée fracassante des meurtriers une allure de ballet joli. Il peut imaginer les sourcils de son père se froncer, sa main plonger sur sa baguette, trop tard, pourtant ; il n'avait jamais été le meilleur duelliste. Mais ce qui revient surtout, c'est le regard effaré de sa mère, toujours flanquée près du feu de cheminée, apeurée mais consciente du pourquoi de la présence des intrus, bien moins naïve qu'elle semblait pouvoir paraître, en fait. Quelques fois, dans ses songes, Alastor pouvait entendre la voix de celui qui lança le sort impardonnable, auteur de l'éclair vert qui mit fin en quelques secondes à deux vies. Tantôt rauque, comme celle d'un homme aguerri, longtemps au service de l'Autre, tantôt plus légère, aux accents français de celle qu'il avait aimé. Une fois ou deux, il s'en souvient encore, il s'était surpris à rêver sa propre voix dire avada kedavra. Parfois, son esprit le laisse se reposer un peu, et c'est comme avant : la même odeur de rose qui lui parvint aux narines, la chaleur du matelas, de son ancienne chambre, la lumière que reflète les murs, la main sur sa crinière. Il ne sait plus si c'est celle de sa mère ou la sienne à
elle.
Il s'en fiche, dans ses rêves. Toutes deux l'apaisent pareillement ; deux échos d'époques foudroyées par le même sortilège, teinté de vert.
your name is a ghost, that still haunts my mouth
Le matin où il apprit qu'il les avait perdu à tout jamais, il avait senti dès son réveil que quelque chose clochait. Pas dans l'odeur de brûlé flottante dans l'air, pas non plus dans la façon qu'il avait eu de fermer la porte derrière lui, la porte de son minuscule petit appartement à Londres. En vérité, Alastor était d'une constance déprimante ; chaque matin, le même rituel terrible, mais rassurant. Dans une vie d'auror mouvementée, le calme était toujours son invité préféré. Lorsqu'il n'était pas en mission, c'était le réveil à la même heure, toujours, et le petit déjeuner, court, à la française, un café avalé avant de claquer la porte, la gazette flanquée sous son bras. Puis il descendait les escaliers avec rapidité (Alastor ne marchait pas, il courrait, sans arrêt) pour ensuite les remonter quatre à quatre, vérifier la serrure, ouvrir, fermer la porte, marmonner deux ou trois sortilèges de protection à voix basse, et enfin redescendre tout aussi vite. Quelques fois, sa vieille voisine moldue l'attendait sur le palier, un petit panier de victuailles tendus vers lui : quand elle était là, Alastor se sentait traqué, mais apprécié. Aussi, il lisait dans ses yeux qu'elle n'était pas dupe, et lorsqu'elle lui chantait d'une voix légère qu'il était
étrange, ce qui ocurrait presque trop souvent, il pouvait jurer qu'elle
savait. Mais personne ne pouvait se vanter, à l'époque, ni aujourd'hui, de pouvoir tenir Alastor Maugrey en laisse. C'était un lion, après tout. Intenable, et lorsqu'on l'enfermait, ses griffes raclaient la surface des barreaux jusqu'à ce qu'on se retrouve à le laisser s'échapper, trop agacé par le bruit du fer éraflé sans arrêt. Il n'y avait que sa paranoïa qui l'emmurait dans ses bras froids et tremblants, toujours plus fort, et l'aidait à avancer. Parfois, elle le faisait reculer de deux pas, mais toujours pour lever sa baguette et son menton, suspicieux, ses sens tous en alerte. La paranoïa ne l'arrêtait pas, pour tout dire en fait, elle le soutenait.
C'est ce matin là, qu'il l'a vu pour la première fois. Il s'en souvient comme si c'était hier, et parfois même, il en rêve.
Ses yeux en arrivant au Ministère, dans les environs de sept heures peut-être, remarquèrent tout de suite les regards désolés qu'on lui lançait. Peu d'entre eux osaient le faire, en vérité, mais il sentait leurs prunelles posées sur l'arrière de sa tête au Ministère, alors qu'il filait, toujours aussi vite, vers son bureau. Sur son passage, personne ne lui adresse la parole. Le lion qu'il est va trop vite pour eux. Et il n'a aucune envie de parler, surtout si tôt le matin. Son café n'a pas encore eu effet sur l'ensemble de ses membres, et sa langue n'est pas décidée à s'actionner pour proférer d'inutiles paroles.
« Je devrais peut-être... » « Non. Laissez. Allez faire ce que vous avez à faire. Et Merlin sait que vous en avez, des choses à arranger. » Quand il arrive enfin à la porte de son bureau, il peut voir Skinner parler de vive voix avec quelqu'un qu'il ne connaît pas. Mais ce qu'il vit en premier, pourtant, ce n'est pas l'éternel cape bleu nuit de son collègue : ce fut la couleur auburn, jonché de reflets roux, d'une cascade de cheveux fins entre deux omoplates recouvertes d'une cape de velours. Une explosion de couleurs qu'il avait déjà aperçu, mais qui lui donnait l'impression aujourd'hui de découvrir de toutes nouvelles teintes. Peut-être dans la manière dont cette chevelure brillait, par la façon qu'il avait de bouger ? Tout ce dont il était sûr, c'était qu'ils étaient hypnotisants. Vêtue d'un violet sombre, la silhouette paraît calme, posée, tranquille. Il ne voit pas son visage, mais ses mains se posent avec légèreté sur l'avant-bras de Skinner, révélant une peau marmoréenne, presque trop blanche. Dans sa contemplation, Alastor ne remarque même pas que Skinner vient de l'apercevoir, debout au fin fond du couloir, un air inhabituellement hagard flanqué sur son visage. Il se détache de l'emprise de l'inconnue, marche vers lui, pose sa main sur son épaule, souffle son nom, et se retire, trop cérémonieusement, trop rapidement, aussi, presque pressé de fuir l'ambiance ténébreuse qui trône dans les lieux. Finalement, Alastor sent en lui une colère étrange naître au fond de son ventre. Il déteste ne pas savoir ce qui se passe. Alors il s'avance, et l'autre se retourne. Ses cheveux balaient ses épaules, tombent sur le côté, et son visage se découvre.
Encore aujourd'hui, il est certain de ne jamais avoir vu de yeux comme les siens.
« Vous êtes ? » Ses deux prunelles sombres, enrobées d'émeraudes, le fixent. Elle ne le regarde pas comme les autres. Elle le scrute jusque dans l'âme, et Alastor se sent presque mal. Il n'a pas l'habitude qu'on le soutienne du regard aussi longtemps ; pourtant, elle n'est pas insistante. Elle le fait avec une timide mais naturelle sincérité. Il ricanerait presque, maintenant, de cette
sincérité.
« Monsieur Maugrey, j'ai été chargée d'annoncer une nouvelle à votre attention. Je me nomme Margaret Fawkes. » Et ce nom là, Merlin sait, qu'il ne l'oublierait jamais.
Margaret était rentrée dans le bureau, comme au ralenti. Dans ses gestes, il y avait la lenteur que Alastor détestait, et la grâce dont il n'avait jamais été pourvu. S'il avait pu en être agacé, de ce contraste, celui qui occurrait en elle, et lui, il semblait qu'avec elle, ça ne le dérangeait pas plus que ça. Il lui assigne nonchalamment une place où s'asseoir, et elle s'y dépose, aussi légère qu'une plume. Il n'a pas détaché son regard d'elle depuis de longues minutes, et il ne sait pas s'il pourra le faire, désormais. Se détourner d'elle. Le bureau a beau être plongé dans la pénombre, il émane de sa personne une lumière. Juste assez de clair-obscur pour la détailler ; une peau toujours aussi pâle, un grain de beauté au-dessus du sourcil, un sur le poignet, une ride d'expression entre les deux sourcils, et sous la pommette droite, une minuscule cicatrice.
Alastor n'était pas un auror pour rien. En quelques secondes, il lui était possible d'énumérer ces petites choses qui font que chaque individu est très différent du prochain ou du précédent. Elle attend patiemment qu'il s’assoit à son tour, et ça le démange presque de devoir plier ses jambes, de laisser son postérieur s'écraser contre la chaise. Alastor déteste être assis.
« Hier soir, la porte du logis de vos deux parents a été forcé. » Finalement, son regard clair, froid, glacial, croise enfin le sien à elle. Il a beau avoir contemplé sa personne, il n'a pas osé lui retourner le regard. Son visage est imperturbable : mais dans son estomac, il sent comme s'il avait avalé du plomb, et ses intestins se serrent, et son cœur manque un battement. Quant à Margaret, elle s'arrête. Comme si dans son propre organisme, le même désordre avait lieu. Sa voix craque. Elle n'est pas habituée, il pense, à annoncer ce genre de nouvelles là.
« Monsieur Artem Maugrey est décédé quelques minutes avant votre mère. Toutes mes condoléances. » Il est reconnaissant, parce qu'elle ne s'excuse pas. Si elle s'était excusée, il aurait explosé. La colère qui commençait à naître dans ses poings serait remontée jusque dans sa gorge, et il aurait hurlé. Mais Margaret ne s'excuse pas. Ce n'est pas une idiote. Elle n'est pas pleine de pitié ; dans ses prunelles, pas d'apitoiement. Il peut y lire la même colère qui s'est inscrit dans les siennes à lui. La considération de son courroux atone. C'était ça, avec Margaret ; elle le comprenait mieux que quiconque, alors que quelques minutes auparavant, ils n'avaient même pas conscience de l'existence de l'autre.
you held me like a promise you knew you would break
Huit mois.
Il comptait les jours, pendant que les minutes et les secondes se moquaient de lui, défilant en ronde autour de sa montre, rire cliquetant. Il finit par la briser dans un élan de rage indigeste, un matin, ou un soir il ne sait plus, alors qu'il n'arrivait plus à la ravaler. Huit mois, et trois jours pour être exact. Sans compter les deux mois passés seuls à traquer, attendant patiemment que la formation de Margareth en vienne enfin à sa conclusion. Huit mois de durs labeurs à tendre les doigts, frôlant la cape de ceux qui avaient tué ses propres parents, à sentir le tissu s'évanouir dans la danse du transplanage, ses doigts se refermant sur l'air. Le vent. Voilà ce qu'ils brassaient tous deux depuis huit mois. Les baguettes sifflantes dans l'oxygène, découpant les atomes, martyrisant les membres. Huit mois à se tapir dans des lieux sombres, à arrêter des imbéciles, à foutre à Azkaban les mauvais brigands. Alastor en devenait fou. Il sentait son cerveau s'automutiler, tandis qu'il lisait et relisait les rapports, le dos penché sur une table poussiéreuse, comme lui. Et la main de Margaret qui venait s'étendre sur son épaule parfois, ce talus de cendre. Elle ne le voyait jamais exprimer sa rancœur ; elle le lisait dans ses yeux, et sa tête rousse jamais ne s'abaissait. Elle lui ferait encore et toujours comprendre qu'elle sentait son courroux, qu'elle le partageait. Mais ses lèvres ne se desserraient pas.
Un soir, pourtant, elle cessa tout bonnement de le regarder. Elle ferma les yeux.
« Je sais ce que tu te dis mais... » Longtemps maintenant qu'elle ne le vouvoyait plus. Ils venaient de transplaner dans son appartement à Londres, et Alastor venait une fois encore de coincer le mauvais bonhomme. Ses poings sont serrés et il est fatigué, fatigué, de ne pas s'exprimer. Son visage de glace se brise, sa froideur fond comme neige au soleil, devant la chaleur qui émane des cheveux de Margaret. Sa main s'écrase contre une lampe, qui s'éclate à terre, bientôt suivi de quelques tonnes de fichiers poussiéreux, d'encre ténébreuse, provoquant un tel boucan que Margaret s'empresse d'insonoriser la pièce. Elle n'a jamais vu Alastor de cette manière là.
« C'en est assez ! »Personne n'a jamais vu Alastor de cette façon là ; vingt-trois ans à peine et déjà si distant, si asthénique, si jeune aussi. Mais ce soir, ses traits sont déformés par la rage, et même, dans le coin de son oeil sans couleur, la preuve brillante et ultime du chagrin, de la vengeance qui ne trouve pas sa catharsis.
« Alastor... » Elle s'approche de lui tandis qu'il se laisse glisser contre le mur. Sa main aussi pâle qu'une morte se pose sur sa joue, et il sursaute au contact. Mais Margaret ne le méprend pas. Elle comprend tout, Margaret. Elle ne se vexe pas devant sa réaction : elle sait que ce n'est pas le dégoût, mais la surprise pure et simple que quelqu'un rentre enfin en contact avec lui. Le genre de contact que sa mère elle-même créé avec lui, autour de biscottes confiturées. Son pouce frôle ses larmes, mais elle ne les sèche pas. Elle les laisse couler et les regarder rouler jusqu'à son menton mal rasé, jusqu'à ce qu'elle s'écrase sur ses genoux repliés. Elle le laisse pleurer, puis elle fourre lentement sa tête dans le creux de son cou à elle, où il aurait pu peut-être mal respirer. Mais au contraire, il y trouve l'oxygène qui parvient à ralentir son pouls luttant, le sang battant sous ses veines, provoquant un vacarme
tum. tum. tum. tum. dans ses oreilles. Elle sent bon, Margaret. Même après trois jours de traque. Elle sent bon la maison. Finalement, après avoir humé longtemps sa fragrance, il déterre son nez pour frôler celui de la jeune femme. Ses yeux verts le regarde. Ils n'ont jamais cessé de le regarder. Et ses lèvres s'écrasent contre les siennes. Et ses mains fines plongent derrière son cou, commencent à défaire sa cape, il la sent glisser derrière lui tandis qu'il se relève, sans jamais briser le contact. Et ses mains à lui, enfin,
enfin, caressent le velours de ses cheveux. Ils sont encore plus doux que ce qu'il avait imaginé. Puis ses lèvres avaient coulé vers le pouls battant de Margaret, dans la courbe de la nuque ; il l'avait entendu rire légèrement.
En y repensant maintenant, Alastor le sait. Elle n'avait pas ri du chatouillement. Elle avait ri de lui. De sa naïveté, de son plan parfait. Car elle l'avait attrapé dans ses filets.
Plus tard pourtant, dans les draps, il l'entend encore murmurer son prénom, comme un requiem. Et à ses oreilles, il sonne comme la plus belle des promesses.
you can hate a place with all your heart and soul and still be homesick for it
« C'est possible, vous pensez, d'avoir vécu toute une vie avec quelqu'un qu'on ne connaissait pas un tant soit peu ? » Dans la pièce, il n'y a que le tic-tac désagréable de l'horloge magique accrochée au mur, peint d'un jaune terne. A demi-hauteur, il y a les même boiseries qu'il y avait dans sa chambre à l'époque où il était petit garçon, mais celles-ci sont brutes, de la couleur marron fade d'un bois commun. Il n'y a aucune odeur ici. Rien à quoi les narines peuvent se raccrocher, ni l'oeil à observer. Tout est fait pour que la langue se délie, et que le silence des lieux soit brisé rapidement. Ses grandes mains sont posées sur les accoudoirs du fauteuil, et Alastor, toujours et encore, ne cesse de se trémousser sur le velour du coussin. Il pourrait faire des choses utiles, au lieu de rester là à écouter le caquetage de ce charlatan. Encore un coup de Skinner, cette thérapie. Encore trois séances et ce serait terminé : on en viendrait à la conclusion qu'il allait très bien. Mais dans l'instant, il était toujours coincé ici. Il ne répond pas tout de suite d'ailleurs, à la question. Pour lui, la réponse coulait de source. Elle est même la raison de toute cette tempête.
« A l'évidence. » Il ne la connaissait pas. Fait simple et vérité implacable. Quinze ans de vie à partager la couche d'une femme dont il ignorait tout, de ses profondes pensées à ses plus visibles actions. Une véritable virtuose du double-jeu, il fallait qu'il l'admette. Elle l'avait trompé comme personne.
« Mais vous la connaissiez. » Alastor fronce les sourcils devant l'affirmation de l'autre, clarifiant encore un peu plus son agacement aux yeux de son interlocuteur, pourtant pas le moins du monde décontenancé.
« Je ne... » Mais Alastor s'arrête, laissant sa sarcastique petite réponse mourir à la barrière de ses lèvres. Il avait su qu'elle ne pouvait pas mettre au monde de miracles, qu'elle en avait pleuré parfois. Qu'elle n'avait jamais su transplaner correctement, atterrissant à des endroits divers et variés, si bien que souvent, il l'escortait. Que la nuit, elle grinçait des dents et que le jour, se plaignait d'une mâchoire douloureuse. Dans la douche, elle humait toujours la même mélodie, et le matin, elle ne prenait que du thé. A la menthe, sinon rien. Et qu'elle détestait, haïssait, le Quidditch, parce qu'elle avait une peur du vide trop tenace. Et que son rire quand il éclatait, s'habillait d'un son trop grave pour une femme et que, de ce fait, en devenait la source principale de ses gloussements timides, ses joues rougissantes.
« Je ne savais pas tout. » tonne Alastor, et son ton est dur et froid, comme agacé de devoir se corriger.
« Vous en saviez assez. »Il se retient de répliquer, parce qu'au fond, il sait qu'il a raison. Il en avait su assez pour se laisser duper et tomber amoureux. Assez pour que son coeur ne s'emballe et qu'il ne lui demande sa main que quelques mois après leur premier baiser. Le dernier, lui, remontait à quelques mois à peine.
*
Alastor se souvient encore de l'aspect défraichi du collier sur les pavés. Il avait plu la veille de l'attentat, donnant au lendemain du seize février mille neuf cent soixante quatorze une humidité insupportable, mêlée au vent froid qui balayait les rues du Chemin de Traverse. Sur le sol jonchés encore les corps des victimes de l'attentat, oeil vitreux ouvert, planté vers le ciel. On avait demandé à Alastor de se dépêcher sur place, afin de recueillir des informations, preuves, qu'importe, quelque chose en fait, qui puisse redonner de l'espoir ou plus heureusement des indices. Ce qu'il y trouva finalement ? les miettes d'un mensonge, les perles de la vérité. Car non loin, juste à quelques mètres du plus jeune des morts, Alastor se souvient de ses traits moins vieillis et de ses joues plus rebondies, l'étincellement du collier de Margaret.
Au début, son cerveau ne fit pas le lien ; il y a des idées qui, paraissant trop impossibles, n'arrivent pas à franchir les barrières de l'inconscient, et flottent dans ce dernier éternellement. Alastor était persuadé qu'elle avait été la douzième victime. Persuadé de son innocence. Margaret n'était pas un traître ; elle l'avait aidé,
elle l'aimait. Et petit à petit, au fur et à mesure de ses recherches, il en vint enfin à la conclusion qu'elle était susceptible d'être coupable.
Finalement, le vingt six février, il l'a retrouva. En y repensant, sa main se serre sur le collier au fond de sa poche.
Ce fut à Edimbourg, vers dix heures du soir, que s'exécuta le plus terrible des divorces. Alastor marchait, fatigué. Il n'avait aucunement l'intention de rentrer dans l'appartement où il vivait depuis quinze ans avec Margaret ; le lieu sentait encore comme elle. Il y avait ses robes, son parfum, et comme elle les avait laissés, le pli des draps et l'enfoncement du coussin de la forme de sa tête. Des formes, des images, mais plus la même chaleur. Il y avait le froid d'une morte et la tiédeur d'un désespéré, qui régnait dans cet appartement. Une atmosphère de fin, en fait, comme celle qui régentait la petite ruelle dans laquelle il venait de tourner.
Il sentit tout de suite sa présence. La fragrance de vanille mentholée mêlée à l'humidité d'Edimbourg en février. Et il était persuadé d'avoir vu, dans la pénombre, le roux particulier de sa chevelure virevolter. Alastor ne dégaina pas sa baguette. Il avait encore dans la tête des nuages de crédulité, une absence de lucidité : il le dira lui même. Il était d'une révoltante stupidité.
« Lumos. » La voix de Margaret murmure mais il parvient à l'entendre. Elle n'avait jamais été bonne en matière de sortilèges informulés. Si la situation avait été propice, il en aurait rigolé, et elle aussi, se serait jointe à lui. Mais quand son visage s'illumine, que l'étroite ruelle se retrouve baignée de lumière, sa colère se réveille. Elle l'a trahi. Elle ne l'aime plus. L'a-t-elle même aimé ?
« Alastor. » Sa voix est froide, terrible, tranchante comme les lames d'un million d'épées, et ses yeux comme avant, pourtant, ne se détachent pas des siens.
« Avada Kedavra ! » Alastor esquive, trop habitué à être la cible de ce sortilège, mais étrangement, sa cheville se tord un peu et il perd son équilibre, son épaule s'écrasant alors contre le mur à sa droite. Il ne sait pas à quoi il s'attendait, en la retrouvant ; à un corps sans vie dans ses pires cauchemars, mais il n'avait pas songé à ce scénario. Aussi vite prononcé et si adroitement exécuté, sa femme venait tout juste de lui balancer le pire des sortilèges sans même faiblir. Sa voix avait été forte, puissante, mesquine. Alors Alastor se relève ; ce n'est plus Margaret. Ce n'est pas Margaret.
Sa Margaret a-t-elle au moins existé ?
« Expelliarmus ! » Il a enfin dégainé sa baguette, dégoûté par l'idée de devoir se battre avec elle. Elle esquive brillamment, comme il lui a apprit lui-même, et son coeur se serre à cette pensée.
« Je te pensais moins faiblard, mon chéri. » Elle minaude, son teint aussi pâle qu'auparavant, mais dans cette teinte marmoréenne, il y avait vu de la candeur, l'expression des ailes d'un ange sur les pigments de sa peau. Désormais, c'était la pâleur d'une malade, d'une possédée, d'une extrémiste. Elle lui balance un autre sortilège impardonnable, mais Alastor esquive encore et toujours.
« Bats toi ! BATS TOI ! » Ses cordes vocales déraillent, et finalement, Alastor courre vers elle. Son bras se coince sous son cou et l'écrase contre le mur, l'empêchant de bouger ne serait-ce qu'un muscle. Elle est prise au piège, tandis qu'il dégaine devant son nez le collier qu'il avait trouvé.
« Quand, Margaret, QUAND ? » il hurle, si bien que même le plus endormi des moldus aurait plus l'entendre. Il répète sa question, son visage pratiquement collé au sien, devant l'air soudain pétrifié de Margaret, qui répond presque en pleurant, mais sa voix reste forte, dominante.
« Depuis le début. Avant même ma formation. » Alastor écarquille les yeux. Comment avait-il pu être aveugle à ce point là ? Alors, son joug se desserre à peine, sous la surprise ou la tristesse, et Margaret en profite pour se défaire de son emprise ; sa baguette se lève. Elle ne dira pas un mot de plus, n'expliquera rien.
« Avad... » mais Alastor répond du tac au tac. Par habitude, lassitude, colère, rancoeur, regret ? Chez un auror, c'est presque un automatisme, de répliquer, il n'a même pas le temps de regretter de l'avoir prononcé.
Et l'éclair vert jaillit de sa baguette et Margaret tombe à terre. Ses genoux se dérobent. Alastor la rattrape de justesse, sa tête cognant contre son torse, puis pendante entre le vide et son avant-bras, les yeux grand ouverts.
Il se souvient avoir marmonné des
non à n'en plus pouvoir, des
Maggie à répétition. Du chatouillement de ses cheveux sur sa main. De la douceur de l'expression de son visage, figé pour l'éternité. De ses lèvres roses entrouvertes. De la légèreté de son cadavre.
*
« Alastor, qu'auriez vous souhaiter lui dire, si vous aviez pu ? » L'intéressé ne détache pas son regard du sol, mais il réprime sa réponse. Il aurait voulu lui dire
je t'aime, sûrement. Parce que c'était la vérité et que c'était la dernière fois qu'il aurait pu l'énoncer, parce que c'était la chose à dire. Mais sa tête se relève et ses yeux plongent dans ceux du médecin. Je t'aime, oui, ou bien peut-être...
« Adieu. » Il n'avait pu dire ni l'un, ni l'autre, mais après tout à ses oreilles, les deux sonnaient pareil.