Requiem for a nightmare
(cassius)  

–  flashback –

L'ouvrage se ferma dans un claquement sonore et fut sèchement repoussé sur la surface du bureau. Peia s’enfonça dans son siège en jetant un coup d’œil furibond au second occupant de la pièce, l’agacement l’emportant sur sa concentration après de longues minutes passées à tenter de se contrôler. « Arrête de me fixer comme ça, c’est insupportable », s’irrita-t-elle en croisant le regard insistant de Regulus Black. L’atmosphère entre eux avait été pesante depuis quelques jours, à cause du comportement étrange du jeune homme ; et ça s’était accentué en cette fin de journée, alors que Callie s’était vue affectée à une mission dont les deux autres membres du trio ne savaient rien. « Elle reviendra entière, tu es passée par là non ? » Oh elle n’était pas calme. Loin de là. Une part d’elle nourrissait une appréhension indicible, mais l’autre l’obligeait à lever la tête et à paraître forte – c’était la façon dont elle se comportait systématiquement face à son meilleur ami. Mais il y avait quelque chose d’étrange par rapport à lui. Il semblait anormalement nerveux, clairement tracassé par elle-ne-savait-quelle préoccupation dont il n’avait rien voulu lui dire. Ce seul fait suffisait à accroître la frustration de Peia : elle était habituellement celle à laquelle il parlait des problèmes sérieux ; à quel point celui-ci pouvait-il être grave pour qu’il se refuse à aborder le sujet avec elle ? « Crache le morceau, qu’est-ce qui cloche avec toi ? » Anormalement blême, les lèvres serrées en une mince ligne, Regulus détourna un instant le regard. Il ne manifestait pas cette assurance nonchalante, teintée d’arrogance, qui le caractérisait ; ça aussi, c’était anormal, et la jeune femme ressentit un pincement au cœur qui atténua un instant son mécontentement. « Regu, parle-moi. » Elle avait tenté d’infuser une certaine douceur rassurante dans ces quelques mots, tandis qu’elle le rejoignait dans l’espoir de le convaincre de se confier. Mais la théorie était une chose, les faits en étaient une autre : et le naturel de Peia était tel que sa supposée « douceur » sonnait plutôt comme une exhortation sèche. Le doute la saisit malgré tout. Et si l’inquiétude qui la taraudait avait percé ? Il se moquerait d’elle, non ? Peut-être même que son attitude était une sorte de traquenard, il avait un sens d’humour complètement tordu vis-à-vis d’elle. « J’aimerais que tu me promettes… » Les yeux de Cassiopeia se plissèrent à l’entente de ces premiers mots, témoignant d’une méfiance qu’elle ne tenta même pas de masquer. Elle repoussa une vague anxiété pour se concentrer sur la dernière idée qui lui avait traversé ses pensées : c’était forcément l’une des taquineries qu’il se plaisait à lui réserver. « Ne change jamais, d’accord ? » – conclut Regulus avec un faible sourire… alors que le sang battait aux tempes de la jeune Flint et qu’elle se laissait submerger par le mécontentement. Il recommençait avec ça ! Ce genre de requêtes dénuées de sens, il s’était fait un plaisir de les distiller dans leurs discussions à plus d’une reprise ; autant de phrases venimeuses qui avaient suffisamment alarmé Callie pour qu’elle questionne Cassiopeia au sujet d’un quelconque malheur à venir. « S’il m’arrivait quelque chose – » Il n’eut pas le temps d’aller plus loin. « Par les caleçons de Merlin, Black », rugit-elle en lui lançant un coussin au visage, indignée. « J’en ai plus qu’assez de tes blagues idiotes, il serait temps que tu te rendes compte qu’elles ne font rire que toi ! » « Tu pourrais m’accorder un peu de crédit au lieu de te montrer si agressive ? » Il s’impatientait à son tour, et si elle avait été en état d’y resonger, sans doute se serait-elle aperçue que ça aussi, c’était inhabituel. Au lieu de quoi, Peia reproduisit le schéma qui avait rythmé leurs échanges ces derniers jours : elle haussa le ton en réponse, si bien qu’il s’enflamma lui aussi et que la dispute s’envenima ; des mots durs, affutés comme des flèches, qui visaient droit au cœur et laissaient des marques que le temps seul ne suffirait peut-être plus à faire cicatriser. Ce fut sur un claquement de porte qui lui sembla étrangement définitif que Regulus quitta sa chambre, puis la demeure des Flint. Peia se laissa retomber lourdement dans son siège de bureau, alors que la pression chutait pour laisser place un amalgame d’émotions fait d’abattement, d’amertume, d’hébétude. De douleur. Au même instant la porte fut rouverte et la vue de l’air curieux de sa mère fit enfler la boule d’angoisse qui lui obstruait la gorge. « Tu ne l’as tout de même pas énervé ? Cassiopeia Flint, si tu ruines toutes ces années d’efforts et passe à côté d’un mariage avec le fils Black je te jure que je – » « Il n’est pas question de mariage, fais-toi rentrer cette idée dans le crâne une fois pour toutes ! Regulus est m-mon… il était… » Le terme ‘meilleur ami’ s’étrangla à mi-chemin de ses lèvres et elle se détourna brusquement. « Sors de ma chambre. » Elle l’avait perdu. Elle ne savait pas ce qui se passait avec lui, mais leur relation s’était tant dégradée ces derniers temps qu’elle ne pouvait persister à nier l’évidence. Elle avait l’impression désagréable qu’il tentait de lui faire des adieux, ou de la pousser à bout en permanence pour l’éloigner de lui. Alors qu’elle y avait vu une plaisanterie déplacée au départ, la réalisation s’imposait maintenant à elle : il essayait bel et bien de se débarrasser d’elle. Le souffle court, elle s’accrocha au rebord du meuble avec la sensation de vaciller au bord d’un gouffre, étourdie par la seule pensée du vide qu’il laisserait dans sa vie lorsqu’il l’aurait éjectée de la sienne. Elle avait toujours su, pourtant, que ce jour arriverait. Foutu Black, foutu complexe de supériorité – s’il était à ce point persuadé de la valeur que lui conférait son nom, alors soit : elle le laisserait croupir dans sa solitude, avec ses précieuses richesses et son patronyme pour seuls alliés.



two days later – La mâchoire crispée, Peia se laissa engloutir par la sensation étrange et familière qui accompagnait l’instant où les barrières magiques en offraient un passage aux quelques sorciers autorisés à transplaner au Square. Elle s’était presque attendue à se heurter à un mur ; sa lèvre s’ourla en une moue désabusée alors qu’elle songeait que ce n’était sans doute plus qu’une question de temps, à présent, avant que les protections ne rejettent sa présence. « Tu as gagné, j’abandonne », persiffla-t-elle avant de s’interrompre, les mots mourant à la coupe de ses lèvres à l’instant où une vision saisissante la tétanisa sur place. Devant elle s’activait un Kreattur en panique. La pièce était emplie de ses glapissements affolés, mais seuls quelques mots parvinrent aux oreilles de Cassiopeia. « Maître Regulus doit reprendre conscience, Maître ! Il faut que (…) Non, le maître ne peut pas abandonner Kreattur (…). » Il se retourna subitement d’un bloc et se retrouva face à elle – l’espace d’une seconde, le visage ingrat de la créature trempée se plissa du mépris qu’il lui témoignait à chaque fois qu’il la voyait en compagnie de son cher ‘Maïtre Regulus’, elle qui ne méritait pas de fréquenter étroitement le digne héritier des Black – mais la terreur l’emporta. « Il faut aider mon maître », croassa-t-il, pressant, tandis que Cassiopeia sortait de sa stupeur et se précipitait jusqu’au lit sur lequel gisait Regulus, mortellement pâle. « La vermine ne mérite certainement pas l’amitié de mon pauvre Maître, oh non ! Toujours à convoiter les richesses et le renom de la Noble Lignée des Black, vautour infâme, (…) », glissa néanmoins l’elfe entre deux sanglots, loin d’être suffisamment effaré pour lui épargner les marmonnements désobligeants qu’il lui servait à chacun de ses passages ; mais elle était bien trop préoccupée pour y prêter attention cette fois. « Comment est-ce arrivé ? » – intervint-elle précipitamment en dégageant les cheveux plaqués sur le front mouillé de son ami ; il avait les yeux étaient révulsés, les doigts crispés comme des serres sur les draps, et semblait consumé par un feu intérieur – pourtant de l’eau débordait de ses lèvres, comme s’il venait de réchapper à une noyade. « Anapneo ! » Le sort désengorgea ses voies respiratoires et il sembla respirer plus librement, engloutissant une gorgée de l’oxygène dont il avait visiblement été trop longtemps privé. Peia n’eut toutefois pas le temps de se sentir soulagée, car aussitôt les gémissements étranglés se muèrent en un cri à glacer le sang. « Je suis là », tenta-t-elle vainement de le rassurer alors qu’elle s’activait au-dessus de lui, cherchait à comprendre l’origine de ses maux. « Kreattur ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Je ne peux rien tenter d’efficace si tu ne m’aides pas ! » Elle s’impatientait, mais l’expérience des situations à risque l’empêchait de se laisser submerger par la peur. Des jets lumineux filaient de sa baguette tandis qu’elle épuisait son stock de connaissances en terme de soins, et elle s’autorisa un geste tendre, sans doute le seul qu’elle ait jamais osé esquisser à l’égard de Regulus. « Je ne te laisserai pas tomber », certifia-t-elle d’une voix teintée de la volonté féroce qui l’animait, alors que sa paume épousait la courbe de la joue glacée du jeune homme et que ses prunelles cherchaient les siennes ; des iris bruns dans un écrin de cils noirs, qui la transperçaient sans vraiment la voir. « Je ne sais pas dans quelle histoire sordide tu es allée te fourrer, mais tu vas t’en sortir. On va s’en sortir, d’accord ? Et si tu refuses de coopérer je te ranimerai au moins le temps de t’achever de mes mains. »